(Re)découvrez la légende Alex Toth, l’homme derrière le masque de Zorro !

La mention du nom de « Zorro » évoque forcément toutes sortes d’images différentes à toutes sortes de personnes différentes. Il y a les couvertures des magazines pulp édités par Street & Smith, Douglas FAIRBANKS exécutant d’ahurissantes cascades malgré ses petits pieds, ou encore Tyrone POWER faisant son maximum pour égaler Errol FLYNN. Il doit même y avoir un dingue quelque part qui trouve que La Grande Zorro est une excellente comédie (si c’est toi, cesse de lire ce livre aussitôt). Pour moi, Zorro, c’est avant tout deux choses : le meilleur épisode de la sitcom The Bob Newhart Show et la merveilleuse adaptation en BD de la série Disney, réalisée par Alex TOTH. Selon un vieux dicton, « l’âge d’or pour la sciencefiction, c’est 12 ans. » À en croire la quantité de bédéphiles trentenaires (bientôt quadras) toujours obsédés par la même sous-culture au rabais qui les émerveillait à cet âge, on peut dire que l’adage s’applique aussi aux comics. Et je suis bien forcé, en partie du moins, de me compter dans le lot.

Quand j’avais 12 ans, mes copains geeks et moi avions nos auteurs favoris. Désolé si ça ne colle pas avec votre version de l’Histoire, mais Jack KIRBY, Frank FRAZETTA et Will EISNER n’en faisaient pas partie. À 12 ans, nous n’en avions jamais entendu parler. Les quatre meilleurs dessinateurs (car déjà, nous faisions le distinguo entre « meilleur » et « favori ») étaient Gil KANE, Carmine INFANTINO, Joe KUBERT, et enfin, en haut du podium, Alex TOTH. Contrairement aux autres, qui oeuvraient régulièrement sur GREEN LANTERN, FLASH ou HAWKMAN, TOTH n’était pas attaché à une série de super-héros spécifique. Si je ne m’abuse, mon premier contact avec son dessin se fit dans Eclipso, le titre le plus étrange que j’avais lu chez DC. Le fait qu’Alex réside en Californie, peut-être, éloignait Eclipso de la touche urbaine typique des autres comics. En tout cas, son style était inhabituel, avec ces gros aplats noirs, ces textures stylisées, et ces contours tracés avec une vigueur de boucher débitant des côtelettes (pardon pour cet accès de lyrisme prétendument adulte ; à l’époque, nos commentaires se limitaient à : « c’est épatant ! »). Et alors que nous abordions la puberté, TOTH nous offrait certaines des plus belles pépées des comics. Ce qui nous ramène à Zorro, où les ravissantes demoiselles en détresse sont légion. J’étais fan de la série Zorro de Disney, diffusée chaque jeudi soir à 19h30 sur ABC-TV. Sponsorisé par Seven-Up, le feuilleton était présenté par un drôle d’oiseau en dessin animé, surnommé Freshup Freddy (« Freddy Rafraîchit » : tudieu, on savait écrire des slogans, à l’époque). Mais l’adaptation de la série en BD chez Dell Comics peinait à atteindre ce lieu de perdition qu’était mon quartier de Brooklyn, peut-être parce que, comme le disaient leurs pubs, « Les comics Dell sont de bons comics » (encore un slogan de toute beauté !).

Il m’a donc fallu un certain temps pour découvrir l’existence de cette BD, et à ce stade, mon entourage et moi ne jurions plus que par ces nouveaux Marvel Comics et leur fameuse « maturité ». En outre, Dell jugeait bon d’orner les couvertures de sa revue de photos de l’acteur de Zorro, Guy WILLIAMS, ce qui ne donnait aucune indication de la qualité des dessins à l’intérieur. Il aura fallu que je sois coincé un été chez ma grand-mère à Staten Island (« la cambrousse », comme on disait à Brooklyn) pour que, lassé d’attendre le prochain numéro époustouflant de Fantastic Four par Stan et Jack, je me décide à saisir un numéro de ZORRO dans les rayons du drugstore du coin.

Lorsque je l’ouvris pour inspecter la marchandise, je sentis ma cervelle faire boum. Sous mes yeux s’étalaient les planches d’un TOTH en pleine forme. Voilà donc ce qu’il faisait pendant que tous les autres dessinaient des super-héros pour DC. Première nouvelle ! Ainsi débuta cette fièvre collectionneuse qui me pousse encore aujourd’hui à traquer chaque production de TOTH. À tous les niveaux, ZORRO montre Alex à son meilleur, surtout lorsqu’on considère les restrictions imposées par Dell Comics. Comme toujours, sa technique est extraordinaire. Je ne veux pas parler du nombre de traits au millimètre carré, mesure de qualité favorite de certains fans de comics trop nombreux à mon goût, mais plutôt de son sens du cadrage et de la composition, alliés à l’expressivité inouïe de ses personnages. Autant de qualités qui font que tout dessinateur un tant soit peu futé envie Alex TOTH.

Au talent considérable de l’artiste s’ajoute son amour ostensible du sujet. Alex est certes le dessinateur de comics le plus moderne qui soit, un illustrateur dans le vrai sens du terme, dont le trait sait représenter à merveille l’époque contemporaine. Mais c’est aussi un amoureux de films et romans de cape et d’épée, ce qui transparaît clairement dans ZORRO. Les amateurs de son œuvre connaissent l’obsession d’Alex pour Errol FLYNN (clairement exposée dans sa série Bravo pour l’Aventure, par exemple), et ceux qui l’ont croisé savent que derrière sa façade soigneusement composée d’ours mal léché se cache le cœur d’un chevalier romantique, d’une politesse irréprochable en présence de dames, et toujours prêt à laisser tomber la chevalerie comme une patate chaude sitôt que ces dames ne sont plus à portée d’oreille. À bien des égards, ZORRO présente une exception dans la carrière de ce moderniste profondément influencé par le design industriel, qui s’adonne ici à un hommage aux héros chevaleresques de sa jeunesse. Mais quand on connaît Alex comme je le connais, il n’y a là guère de contradiction… et peut-être que lui aussi a su conserver en lui cet âge d’or de la science-fiction (et des comics).

Quand Dean MULLANEY, superviseur de cette réédition, m’a demandé d’écrire cette préface, je fus à la fois enchanté et flatté. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’être payé à dire du bien de l’œuvre d’Alex TOTH. Et puis, je fus pris d’un moment de panique qui dura tout un mois. Pourquoi ? me demanderez-vous… Pour faire court, je me suis vite rendu compte que tout ce que je pourrais écrire (et je dis bien tout, le positif comme le négatif) serait susceptible de le mettre en rogne. Contrairement à ce qui se dit souvent, c’est bien lui et pas moi qui détient le titre d’individu le plus têtu, impitoyable et grincheux du monde des comics. Je me suis donc abandonné à une longue réflexion avant de me jeter à l’eau sans me soucier du reste.

Je me suis rappelé notre première rencontre dans sa résidence d’Hollywood, en août 1975. C’est un ami commun, David ARMSTRONG, qui m’avait amené chez lui en fin d’après-midi, après la convention de San Diego. Je connaissais le légendaire caractère d’Alex ; j’avais lu sa fameuse interview dans Graphic Story Magazine. Et peu importe pour qui se prenait ce type : je n’allais pas le laisser m’intimider. Tu parles. Dès notre première conversation, il m’a expédié dans les cordes. Face à lui, je me suis retrouvé à défendre le travail de dessinateurs que je méprisais. Comment ? Pourquoi ? Du diable si je sais. En tout cas, le reste de l’après-midi a passé comme une flèche alors que le jeune agitateur que j’étais voyait tous ses arguments annihilés jusqu’au dernier par Alex.

Je suis incapable de me souvenir de quoi nous avons discuté exactement, mais ça ne m’étonnerait pas qu’Alex s’en rappelle, tel que je le connais. Quand vint l’heure de se séparer, il me présenta un tas de planches de sa splendide adaptation d’un film de dinosaures médiocre avec Jock MAHONEY, L’Oasis des Tempêtes, et me dit d’en choisir une. J’ai failli souiller mes dessous. TOTH m’offrait un original !! Je fis mon choix, et Alex emporta la planche à l’écart pour me la dédicacer. Il me la donna, nous nous serrâmes la main, et je repartis avec Dave ARMSTRONG sans penser à regarder de plus près mon cadeau. Ce n’est que dans la voiture que j’examinai cette œuvre d’art, qui figure aujourd’hui parmi mes plus précieuses possessions, avec mon CORNWALL, mon FAWCETT et mon BECKHOFF. En dédicace, TOTH avait inscrit : « Howie [lui seul peut se permettre de m’appeler ainsi], c’est quand même toi qui as tort – Alex. » Fidèle à lui-même, ce bandit avait eu le dernier mot.

Howard Victor CHAYKIN

 Quelque part à Los Angeles, 1988

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Zorro La Légende

On ne le présente plus, Don Diego de la Vega alias Zorro, ce héros humaniste de Californie qui défend la veuve et l’orphelin, tourne le Sergent Garcia en ridicule et déjoue les complots des malfaiteurs de la pointe de son épée. Directement inspirées des personnages de la série télévisée de la fin des années 1950, ces aventures de Zorro en bande dessinée ont été produites à la demande des studios Disney pour les lecteurs du journal de Mickey par le maître du noir et blanc, Alex TOTH.

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